Karol O’Brien et Louise Picard
Parler de la violence entre lesbiennes à partir de la situation d’une lesbienne violente n’est pas une mince affaire. La littérature est plutôt silencieuse et les expériences « terrain » sont rares. Ce texte se veut une ébauche d’analyse et le point de départ pour amorcer notre réflexion.
Dans un geste de violence il y a toujours une notion de contrôle (contrôler la situation ou sa partenaire). La violence est un choix. Ce n’est pas une perte de contrôle, c’est choisir la violence comme moyen pour gérer les situations. La responsabilité de la violence appartient toujours à celle qui est violente. Parler de la violence conjugale entre lesbiennes, c’est affirmer qu’il y a une victime et une agresseure. Croire à la réciprocité de la violence dans le couple lesbien est un mythe qui n’aide ni une lesbienne violentée, ni une lesbienne violente.
Il y a plusieurs façons d’exprimer de la violence. Violence psychologique, verbale, physique, sexuelle et économique. Les comportements violents peuvent être évidents ou bien être plus subtils mais ils laissent toujours des marques. Nous avons avec l’aide de la littérature américaine et anglaise répertorié différents comportements violents. Certains éléments pris séparément peuvent nous paraître sans trop de conséquence. Toutes les relations malsaines ne sont pas violentes. Mais si on retrouve ne serait-ce que quelques uns de ces éléments dans une relation, nous pouvons dire qu’il y a de la violence. En voici certains exemples:
1. ISOLER L’AUTRE
Une lesbienne violente peut isoler sa partenaire de ses amies et de sa famille. Elle peut également être jalouse de tout contact de sa partenaire avec d’autres, ce qui à la longue aura comme conséquence que d’elle-même la lesbienne non violente évitera les contacts. Une lesbienne violente peut aussi détourner les amies de sa partenaire par des mensonges ou par toutes sortes d’autres moyens (exemple: ne pas faire les messages). Lors de leurs sorties communes en présence des amies de sa partenaire, elle la critique devant les autres, ce qui crée un malaise et un éloignement des amies. Elle peut également demander que celle-ci retourne dans le « garde-robe » pour sa réputation ou pour sa carrière. Une lesbienne violente peut également créer ou être continuellement dans des situations de crise qui font que sa partenaire a l’impression qu’elle ne peut la laisser seule. L’agresseure peut également par sa rigidité et son étroitesse d’esprit être isolée et isoler sa partenaire.
« Moi aussi ça m’est arrivé d’être violente, dit l’une d’elles, j’ai ma part moi aussi ». Elles sont là, dans l’atelier, plusieurs lesbiennes qui écoutent et qui cherchent à comprendre. « Moi, dit-elle, c’est ma blonde qui est folle. Elle me met à bout. D’ailleurs, toutes mes blondes étaient folles. »
« Moi, personne ne m’a jamais pilé sur les pieds, personne,…et c’est pas ma blonde qui va commencer. »
2.MONOPOLISER LES PERCEPTIONS
Dans l’interprétation des faits la lesbienne violente a toujours raison. Elle cherche à contrôler la perception de sa partenaire. Dans son interprétation, sa vision de la réalité est toujours la bonne et ses gestes corrects selon la situation.
À l’occasion elle s’excuse d’avoir tel ou tel comportement mais ne reconnaît pas sa responsabilité dans les faits. Un des comportements fréquent est de blâmer sa partenaire, de remettre sur sa partenaire la responsabilité de ses gestes. Elle a tendance à expliquer et à justifier ses comportements violents comme s’ils étaient en-dehors de son contrôle. Une autre façon de monopoliser les perceptions est de minimiser; elle fait paraître moins graves les conséquences de ce quelle fait (par exemple: « Ce n’est qu’une farce ») ou les comportements violents (exemple : « C’est juste un jeu »). Pour manipuler la perception de sa partenaire, une lesbienne violente utilise différents jeux de pouvoir comme le mensonge.
3. PROVOQUER L’ÉPUISEMENT PHYSIQUE
Une lesbienne violente utilise toutes sortes de moyens pour maintenir sa partenaire dans un état d’épuisement physique. Elle peut réveiller sa partenaire pour continuer ou pour commencer une chicane. Si sa partenaire est malade, elle l’oblige à garder le même rythme de vie. L’agresseure peut accuser sa partenaire d’être anormale ou malade si elle ne tient pas ce rythme. De telles attitudes créent chez la victime un état d’extrême fatigue ou de la détresse psychologique.
4.MENACER
Le but des menaces est d’intimider, de faire peur à l’autre et de contrôler. Il y a plusieurs sortes de menaces. Une lesbienne violente peut menacer de faire mal à sa partenaire, à ses amies, à ses enfants, aux animaux ou aux choses qu’elle aime. Les menaces de suicide sont également des gestes violents. L’agresseure peut menancer de révéler à la famille et/ou au travail le lesbianisme de sa partenaire et/ou de nuire à sa réputation.
La colère peut être utilisée de façon menaçante. La lesbienne violente n’est pas plus en colère que quelqu’une d’autre. Elle utilise seulement cette émotion pour intimider. Dans le même ordre que les menaces, la lesbienne violente peut utiliser différents jeux de pouvoir pour avoir ce qu’elle veut: crier, briser des objets, avoir des attitudes qui font peur, contrôler la fréquence des relations sexuelles, frapper sa partenaire, etc…
5. FAIRE CROIRE À UN POUVOIR HORS DU COMMUN
Pour contrôler, une lesbienne violente fait croire qu’elle accomplit des choses que les autres ne font pas ou ne peuvent pas faire. Elle peut faire croire à des dons spéciaux. Faire croire à sa partenaire qu’elle est la seule qui peut la satisfaire, ou qu’elle seule sait ce qui est bon pour leur vie de couple; » Je sais ce que tu veux », « Je sais ce que tu penses ».
Une des façons pour avoir ou garder le contrôle c’est de faire croire quelle n’est pas régie par les mêmes règles que les autres. Les gestes qu’elle pose peuvent être incorrects pour d’autres, mais pas pour elle. Une lesbienne violente peut avoir une vie fragmentée, par exemple en même temps battre sa blonde et militer contre la violence. Mais pour elle tout est cohérent car elle est « spéciale ».
La notion de « propriété » pour la lesbienne violente est très élargie. Cette notion justifie pour elle la violence envers sa partenaire ou envers les choses et les objets de sa partenaire.
Une lesbienne violente peut avoir une image d’elle-même forte, supérieure et auto-suffisante. Quand cette image n’est pas soutenue, elle pourra être violente et considérer qu’elle ne fait que réagir aux attaques qui lui sont faites.
6.DÉNIGER SA PARTENAIRE
Les comportements violents de cette catégorie font référence à l’humiliation (en privé ou en public). Une lesbienne violente a des comportements qui ont de l’influence sur l’estime de sa partenaire. Elle fait croire que c’est la victime qui n’est pas correcte. L’agresseure s’organise pour que sa partenaire ait à demander la permission pour sortir pour dormir ou même aller aux toilettes.
Une lesbienne violente veut faire croire à sa partenaire qu’ elle fait « une folle d’elle ». En public, elle la présente également comme une folle. Elle peut aussi chercher à inclure d’autres personnes dans son jeu. Dans la catégorie précédente nous avons fait référence à la perception de « supériorité » de la partenaire violente. Elle humilie sa partenaire pour continuer à croire à sa valeur supérieure.
7. RENFORCER LE CONTRÔLE
Une lesbienne violente veut que sa partenaire réponde à tous ses besoins. La relation est centrée uniquement sur les besoins de l’agresseure, jamais sur ceux de la victime. Les gestes, les attitudes et les comportements de l’agresseure ont comme but de maintenir la relation et la partenaire sous son contrôle. Il est très difficile pour la lesbienne violente d’être satisfaite, et elle fait croire que son bien-être dépend uniquement de sa partenaire.
8. CRÉER LE DÉSARROI
Les gestes et les paroles d’une lesbienne violente ont comme but de créer le trouble chez sa partenaire. Lors de discussions ou de chicanes une lesbienne violente peut être contradictoire. Elle redéfinit continuellement la réalité, change le « focus », ce qui a pour effet de créer le désarroi. Elle fonctionne sur sa perception de la réalité. Elle reste vague, ne spécifie pas ce qu’elle pense. L’agresseure « joue à la victime » et finit par faire croire à sa partenaire que c’est elle qui est violente. Tous ces gestes, attitudes, paroles sont très efficaces car ils entraîne la détresse psychologique, conduisent la lesbienne non violente à ne plus faire confiance à ses intuitions, ses perceptions. Il y aura un effet direct sur la santé mentale de sa partenaire, ce qui augmente la possibilité de contrôle pour la lesbienne violente.
9. AVOIR UNE RECONNAISSANCE OCCASIONNELLE
Une lesbienne violente est très charmante par périodes. Après des épisodes de violence elle s’excuse, promet d’aller en thérapie, de ne plus recommencer et amène des cadeaux. Cette période de « lune de miel » est le moment pour une lesbienne violente de faire croire à sa partenaire qu’elle n’est pas si mauvaise. Et que dans le fond quand sa partenaire est « fine », elle n’est pas violente, par exemple: « Si tu étais toujours comme ça, je ne serais pas obligée de me mettre en colère ».
QUE DOIT FAIRE UNE LESBIENNE VIOLENTE?
Comme nous le disions plus tôt, le sentiment le plus souvent associé à la violence est la colère. Mais ce n’est pas le seul. Quand on regarde derrière cette colère, on découvre plusieurs émotions ou sentiments intenses comme l’anxiété, la vulnérabilité, la peur, la confusion et le sentiment d’impuissance. À moins d’apprendre à confronter et négocier ces sentiments, il est peu probable que les comportements violents cessent.
Voici quelques suggestions qui peuvent aider à arrêter les comportements violents
-Se responsabiliser et accepter les conséquences de ses gestes
Arrêter de blâmer la victime ou des facteurs extérieurs tel l’alcool, le stress au travail, une enfance difficile. La victime n’est pas responsable de tous ces facteurs, ni de la violence qu’on lui fait subir. S’excuser et être désolée n’est pas la solution. Se réconcilier n’est qu’une solution temporaire et n’empêche pas le cycle de la violence de se perpétuer. Pour avoir une relation saine il faut accepter de changer pour de bon. Il est important de ne pas oublier qu’une lesbienne violentée ne veut pas être abusée et éventuellement quittera la relation.
-Reconnaître qu’on a commis un crime
Agresser quelqu’une est un crime et peut entraîner des poursuites, qu’on soit lesbienne ou non. La loi est claire sur les agressions physiques et sexuelles, le harcèlement et les entrées par effraction; ces gestes sont inacceptables.
-Demander de l’aide
Il n’y a aucune honte à demander de l’aide. Une lesbienne violente peut changer et aura besoin d’aide pour comprendre et arrêter la violence et confronter les différents problèmes qui ont servi à justifier la violence.
-Apprendre à se comporter différemment
Il est possible d’apprendre à se comporter différemment et de faire face à ses émotions.
Voici quelques points qui peuvent permettre de changer ses façons d’agir et de penser:
1.Repenser aux événements où vous avez été violente. Identifier qu’est-ce qui se passait à ce moment-là. Ce que vous pensiez et les émotions qui vous habitaient avant la violence.
2.Apprendre à reconnaître les signes avant-coureurs qui indiquent que vous devenez violente.
3. Développer des alternatives comme quitter immédiatement la situation, appeler une ligne d’aide ou rencontrer une thérapeute.
4. Si cela est nécessaire, quitter définitivement la relation pour arrêter la violence et demander de l’aide.
CONCLUSION
Nous devons comme communauté prendre une position claire contre la violence conjugale. Et remettre en question les mythes concernant la violence entre lesbiennes. Il y a aussi le mythe qui attribue à certains groupes de lesbiennes la violence, par exemple les butch/ femmes, les lesbiennes qui ne se disent pas féministes, les lesbiennes sado/masochistes. Il est ainsi facile de s’exclure de la violence en catégorisant, donc en ne nous sentant pas concernées.
Chacune de nous est responsable du silence qui entoure la violence. La prévalence de la politique de non-intervention permet à des lesbiennes d’entreprendre des relations non-sécuritaires et notre silence entérine cette violence.
Comme communauté, nous devons aussi nous rassembler pour développer des stratégies et pour contrer la violence; débattre de questions qui impliquent le système judiciaire et médical; dénoncer les gestes de violence et aller jusqu’à confronter une lesbienne violente. Un autre aspect important est la création de ressources adéquates pour les lesbiennes, soit en créant des lieux sécuritaires pour toutes, soit en s’associant à des ressources déjà existantes.
Il ne faut pas oublier que la violence n’est pas seulement le problème des autres mais aussi le nôtre. Car comme communauté, nous sommes un ensemble de lesbiennes qui ne sont pas seulement préoccupées par la problématique, nous en sommes nécessairement partie prenante, que ce soit comme témoins, comme victimes ou comme agresseures.
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